Le devoir et l'envie

Une fois n'est pas coutume, en tous cas nous voici de nouveau un soir de Noël, vous qui me lisez, moi, derrière mon écran et mon chat. Ici à scroller les souvenirs des 25 décembre passés, plus ou moins joyeux, plutôt moins que plus dans ma tête comme dans les publications que je revois, à quelques exceptions près, un œil sur les textos échangés avec ceux qui comptent. 

Et cette année, finalement? Une bougie à la vanille qui crépite, un vinyle de Pulp Fiction tournant sur la platine, encore un peu de foie gras quelque part et sans doute beaucoup de choses à dire...Sur ces fêtes que l'on célèbre, même quand on n'a plus vraiment le cœur à ça, même quand on a tout essayé, même quand on a fait trêves et autres concessions, même quand par devoir "parce qu'il le faut", "parce que c'est comme ça qu'on fête", "parce que c'est la tradition" j'ai pris sur moi, ravalé mes larmes, et décidé d'aller de l'avant, d'accrocher un sourire sur ce visage fatigué et arboré mes plus belles paillettes sur mes paupières et mes petits souliers. 

J'ai donc vu cette année, des gens réunis, heureux d'être ensemble, qui s'étaient choisis, joyeux comme on peut l'être même s'il en manque un ou deux, partis au firmament ou loin des leurs, tout simplement, sans jugement, sans dureté, sans culpabilisation, des gens ensemble par envie. Ces gens qui vivent un étage au-dessous du mien, et qui sont venus toquer à ma porte pour être bien sûrs que je ne sois pas seule hier soir. Par envie.

J'ai constaté, des familles réunies, malgré les ressentiments, les choses non-dites, passées sous silence parce qu'il y a des enfants, non pas "parce qu'il le faut" mais par envie aussi. J'ai vu des étoiles dans les yeux de petits et de grands, j'ai été surprise et émue, j'ai éprouvé ce plaisir simple de lire la joie illuminer le visage de quelques-uns de ceux que j'aime. 

Et j'ai revisionné une vidéo, celle d'un homme jouant de l'harmonica aux dernières heures de la nuit et de sa vie, un Noël il y a 4 ans, que je n'oublierai jamais. Et j'ai marqué une pause en me demandant combien de fois j'avais vécu un "joyeux" Noël. Joyeux, avec de la joie. La joie qu'on ressent vraiment au fond de soi, la joie sans calcul des paramètres extérieurs, des réactions à anticiper, des conversations à éluder, des catastrophes à éviter, les tentatives désespérées de réunions apaisées, entre personnes de la même famille sans bien comprendre pourquoi, mais "qui font avec" sans l'once du début d'envie d'être ensemble. J'ai repensé à cette semaine de distribution à Lille, avec Hélène et toute la troupe sur le parking du Match, avec des gens qui n'avaient plus rien, et qui m'avaient témoigné tant de joie arrosée de larmes et de quelques bières, juste parce qu'on partageait de la chaleur humaine et une boule à facettes. J'ai pensé que partout dans le monde, on s'obligeait à faire une pause dans la folie ambiante. Même ceux qui n'y croient pas. Même ceux qui n'ont aucune raison d'espérer, même ceux, seuls, qu'ils le veuillent ou non, qui finissent par se poser des questions sur ce dont ils ont envie  plus que ce qu'ils doivent faire parce qu'il le faut. 

J'ai pensé à ces petites piques, petites phrases assassines, petites pointes de douleur disparues de mon épaule droite après trois semaines de combat, parvenues à étriller mon épaule gauche, tôt ce matin. A tout ce qui fait qu'on s'isole parfois du monde pour faire le point. Et je me suis dit finalement, elle est pas mal cette fête. Inventée de toutes pièces celle qu'on célèbre aujourd'hui, plus grand chose en commun avec la nativité, sauf la notion de réunion, de communion, bref, cette recherche d'être ensemble. Cette occasion presque unique d'être ensemble. Peu importe avec qui, tant qu'on ne le fait pas par devoir mais vraiment par envie. Tant qu'au fond de nous, on ne se dit pas qu'on préférerait être ailleurs avec d'autres gens que là où on est, et vivement que ça se termine. Tant qu'on sait pourquoi on fait ce qu'on fait, et vit ce qu'on vit. Elle est commode cette fête, elle me fait penser à l'envoi d'un document essentiel avant une audience d'assises à l'accusé, pour être sûr qu'il rencontre au moins une fois son avocat. On construit parfois des stratagèmes pour que des gens se croisent, pour que des liens se créent.

Donc oui, cette petite période de fêtes se déroule en ce moment-même. Partout on essaie de faire abstraction des rancœurs, des jugements, des imperfections, des secrets de famille. Partout on tente une forme de paix intérieure et on joue le jeu. Ou bien on décide de ne rien jouer du tout, quitte à être hors du cadre mais aligné. En fait oui, c'est ça je pense, la clé de l'histoire: l'alignement. Tant qu'on assume à fond, la trêve, les paillettes et la fête, la joie réelle ou feinte, l'abondance ou la sobriété, tant qu'on finit par décider d'arrêter de subir, on peut survivre à cette période que certains trouvent hypocrite ou exagérée. Les présents, finalement, comptent moins que le présent, celui qu'on offre par la présence, la disponibilité, l'envie d'être là, ce jour et tous les autres. Ils sont merveilleux quand ils nous ressemblent, même si ce n'est pas ce qui importe, l'enfant de 5 ans au fond de nous a le cœur à la fête si on lui montre qu'on sait ses rêves et ses envies. 

Et puis, même si on tente d'y échapper, par le très commode sommeil artificiel, on ne peut que passer par l'étape du bilan. De l'année, des dernières semaines, des derniers changements, des différentes avancées dans nos "sections" (pour ceux qui compartimentent, parce que c'est moins dur à gérer) Qu'a-t-on fait par choix? Qu'a-t-on fait par devoir? Qu'a-t-on fait par envie? Notre envie, pas celle de quelqu'un d'autre que nous, parce qu'il le faut, parce qu'on le doit.

Je vais vous dire, j'ai vécu une année plus que riche professionnellement, et très complexe émotionnellement. Je suis passée par des montagnes russes, par des sentiments d'abandon, de rejet, de questionnement, d'injustice, d'inquiétude, beaucoup. J'ai entendu des tas de gens me donner leur avis, des conseils que je n'ai pas suivis et d'autres, des exemples qui m'ont inspirée, d'autres qui m'ont convaincue de mon intuition de départ, des avis que je n'avais pas demandés que j'ai malgré moi reçu en pleine face. J'ai pris des chemins, changé de trajectoire, et puis finalement...j'ai suivi ma voi(e)x, j'ai choisi ma route, j'ai fait mes choix. 

Et aujourd'hui, après des "je n'ai pas le choix", des soirées puzzle-larmes, des pétages de plomb contrôlés, plus ou moins, des nuits blanches passées à retourner ma vie comme un rubikub, des journées cernées et des messages d'encouragements toujours tombés à pic, je ne regrette RIEN. Tout a un sens, tout a une raison. J'assume parfaitement mes choix et mes décisions, même maladroites, même incomprises, parce que je suis sur ma lancée, que je suis ma piste, que j'ai CHOISI les personnes pour m'accompagner, et je ne vous raconte pas, ceux que l'évidence et l'univers conspirent à m'envoyer, bien entendu. Quant à toutes ces phrases qui commencent par "il faut arrêter de ", elles me feront désormais ré-agir, parce qu'il faut surtout arrêter de me dire ce que je dois arrêter de faire, dire, penser ou quoi que ce soit de dérangeant aux yeux des autres. Je sais ce que je fais, ce que je dis, j'ai ma propre méthode, mon style, mon rythme. Possible de m'adapter, si je veux. Sinon....ma foi tant pis, le monde est vaste, chacun est libre de ses choix. 

Désormais bien ancrée dans ce projet extraordinaire, je sais quand dire ou ne pas dire, quand entendre ou faire fi, quand complimenter ou dire ce qui ne va pas. Désormais capable de me méfier, de montrer mes émotions, de dire ou de taire, de consulter ou de garder pour moi, d'être tactique ou sympathique, je me sens très près du but: la liberté. Alors...au ratio,je dois être plus que jamais proche de 80% de décisions par envie, 10% par devoir et 10% d'impro. 

Du chemin parcouru, je n'ai plus à rougir. Ni à m'excuser d'être celle que je suis. Pas si mal, au final.

Pourquoi le raconter? Pour faire gagner du temps à ceux qui suivent. Comme ce que je transmets dans mes cours de français, de philo ou d'histoire. Comme la pédagogie que j'enseigne, comme les infos que je traite. Simplifier. Et il m'est avis que je simplifie aussi ma propre vie, pendant que j'y suis.

2020 est à nos portes...si on en faisait un chef d'oeuvre? Notre propre création? Si pendant très longtemps je n'avais qu'un brouillard dans mon pare-brise avant, aujourd'hui j'ai enfin une vision assez claire de ce à quoi j'aimerais que ressemble ma vie. Les coups d’œil au rétro ne serviront qu'à  me souvenir, de ce que j'ai appris, de ce que j'ai déjà accompli. Pour le reste, j'improviserai. Après tout, jusqu'à maintenant, à quelques égratignures près, ça m'a plutôt réussi. Au pire, j'ai des pansements licorne dans ma pochette dorée. Faut jamais désespérer :) 

Je vous embrasse et vous souhaite une très belle fin d'année. C'est nous qui décidons de ce que nous voulons, NOUS et nous seuls.


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