What kind of child were you?

Quand je suis arrivée devant le Palais de Justice tout à l'heure, j'observais les gens.

Comme à mon habitude, j'ai vu les gens que personne ne remarque, ceux dont tout le monde se fout, comme ce monsieur à l'allure nonchalante, qui n'a pas du sentir le jet de la douche couler sur son visage et le reste depuis longtemps, et qui marche d'un pas plus qu'approximatif en bordure de trottoir.

A quoi peut penser cet homme à l'instant où je le vois, mais qu'il ne voit bien sûr pas qu'on le regarde?

Et surtout que voulait il faire de sa vie quand il était petit?

J'ai ce réflexe étrange d'imaginer tous les gens que je croise, surtout ceux que je défends.....quand ils étaient petits.

C'est une façon pour moi de les "humaniser".

Et puis, je les imagine grandir, je les imagine rire, innocents, gentils, je les imagine quand ils construisaient des cabanes avec leurs copains dans les arbres, avec leurs petites copines au collège, puis quelque chose a du leur arriver vers 18 ans au retour du service militaire obligatoire à l'époque de cet homme celui de ce matin, puis peut être a t il eu une femme, des enfants, qui ignorent son existence, depuis qu'il est parti acheter des cigarettes et qu'il n'est plus revenu.

Et maintenant, il erre, dormant sur des bancs, affamé, devant faire la manche, jamais propre, jamais tranquille, jamais au calme.

Devant le palais de justice, tout à l'heure, il y avait des avocats, des policiers, l'air était doux, alors qu'il n'avait cessé de pleuvoir depuis trois jours que pour de faibles accalmies, et je me suis demandé, si ces gens là un jour auraient pu se croiser en dehors de ce trottoir usé et jonché de mégots de cigarettes.

Et s'ils étaient allés à l'école ensemble petits, comme la promotion Voltaire de l'ENA a produit des stars de la politique, des destins glorieux, peut être que celui qui commet les infractions, celui qui l'arrête et celui qui le défend se sont un jour retrouvés autour d'un ballon quand ils avaient 6 ans.

Et dans la salle d'audience, je regardais ces personnes qui font le même métier que le mien actuellement, ou tout au moins qui en portent le nom.

Tous les chirurgiens n'opèrent pas à coeur ouvert.

Et je les ai imaginés étudiants, il y a longtemps, bien avant de devenir ces personnages, bien avant d'endosser ces rôles là, je les ai imaginé dans leur dortoir, dans leur chambre d'étudiants sous les toits, potasser les articles qu'ils brandissent aujourd'hui.

Je les ai imaginés, aux soirées de la fac, aux manifs, au Restaurant universitaire, travailler à la bibliothèque.

J'ai même reconnu l'un de ceux qui avaient partagé ces bancs avec moi mais qui s'était racheté une identité en arborant une coiffure différente qu'en 2000.

12 ans avaient passé et évidemment il ne me reconnaissait pas, et bien sûr il n'aurait rien eu à me dire dans le cas contraire.

Et l'audience s'est passée comme ça.

J'observais, j'imaginais, qui avait pris quelle matière en deuxième année, qui était populaire auprès des garçons, auprès des filles, j'avais deux heures à tuer.

Et puis quand je suis ressortie après avoir passé mon affaire, d'autres gens jonchaient le trottoir au milieu des mégots.

De nouveaux destins, de nouveaux grands enfants, qui un jour ont été petits et innocents, attendant fébrilement le verdict, rallumant la nouvelle cigarette avec le mégot fumant.

C'est la seule façon que j'ai trouvé pour les rendre tous humains.

Pour leur donner une chance, pour qu'ils se rachètent un bout de vie, les visualiser petits.

Quand ils n'avaient pas le choix.

Je le fais pour les juges aussi, mais j'y arrive beaucoup moins.

Je n'ai besoin de rendre humains que ceux dont on doute qu'ils l'aient un jour été.

Et ce faisant, j'arrive à aborder leur défense en me disant, un jour, ils ont été, quoiqu'il arrive innocents.

Voilà la raison que je trouve pour me lever de ce banc.

Et vous, quand vous étiez petits, que pensiez vous que vous deviendriez?

Saviez vous où vous en seriez en 2000? en 2012? en 2020?

Le futur, bien que proche, effraie souvent, on se dit toujours qu'on a le temps.

Alors profitez en.

Essayez d'imaginer les autres enfants.

Ça ne change pas tout radicalement, mais ça aide.....à être tolérant.

Je vous embrasse. 




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